vendredi 31 janvier 2014

Le lycée Razi de Téhéran : l'école qui nous a permis d'exister.

                                                         Le Lycée Razi  de Téhéran.



Il y a 35 ans quand je regardais cette montagne bleue, enneigée au loin : je n’aurais jamais imaginé ma vie telle que je l’ai vécue.
Ce désert qui me séparait de la montagne ne laissait aucun espoir pour l’atteindre, plus on avançait vers elle, plus elle semblait s’éloigner exprès et restait inatteignable, improbable.
Le climat qui alors régnait au sein de ma patrie était comme cette montagne inatteignable, infranchissable, immense et opaque.
Etudier, savoir, comprendre, réfléchir, connaître le monde, était inimaginable.
Jamais la pensée même de m’envoler vers le ciel de la connaissance et de la  réussite ne m’aurait effleuré.
Mon univers était simple, rustique, pierreux, froid et chaud, binaire, sans couleurs ni passées ni futures, un univers qui aurait prononcé la sentence d’anéantissement à la moindre erreur.
Je ne connaissais rien du monde, rien de ce que je ne savais pas encore, pourtant le monde ailleurs existait et évoluait tous les jours mais, ce monde-là, ne me connaissait pas et même ne s’intéressait pas à moi.
Un jour, un bâtiment immense, blanc, mystérieux, majestueux commença à germer de cette terre rouge qui me séparait de la montagne.
Soudainement, ce bâtiment rendait plus humain ce coin de désert, on aurait dit que la civilisation avait remporté une petite bataille sur le néant.
Comme la montagne, cet édifice n’en finissait pas de se faire.
Chaque jour un nouvel angle, chaque jour une nouvelle forme géométrique changeait le paysage et comme l’intelligence façonnait le vide.
On se sentait moins seul moins abandonné grâce à cette émergence.
C’était tellement imposant que personne ne se posait aucune question à son sujet comme si sa grandeur, impressionnait et la rendait taboue et mystique.
Je passais parfois devant, à l’occasion d’un vendredi congé, qui nous traînait devant une mince rigole d’eau de montagne autour de laquelle tout le monde festoyait comme si l’univers s’y résumait.
Jamais on ne se posait de question quant à la destination de ce paquebot sorti de rien : seule une cause au-delà de nos existences insignifiantes pouvait s’y loger.
Un jour, un grand homme en habit militaire et à l’allure autoritaire et non indigène provoqua beaucoup de va et vient au sein de ce bâtiment enfin achevé.
Il regardait tout avec beaucoup d’attention, et on aurait même dit de tendresse, ces murs blancs, froids pour l’instant et sans âme.
Une foule affable le suivait, le servait et le guidait dans le labyrinthe.
Puis, plus rien, le silence et tout était redevenu blanc comme en attente.
Bizarrement, on aurait dit une mariée qui attendait son fiancé pour la cérémonie finale.
Un jour de septembre, des centaines de petits diables envahirent cette église du savoir : c’était une école, c’était le sanctuaire du savoir, c’était là où on donnait la chance d’atteindre la montagne.
C’était mon école.
J’avais aussi le droit d’aller à cette église car le grand monsieur qui était venu l’inaugurer avait aussi redonné la liberté à son peuple au loin, ce peuple qui allait me donner la chance à moi aussi de compter et d’exister.
Il y avait enfin un chemin pour atteindre la montagne, il y avait enfin une chance de savoir, de connaître, de comprendre.
Des mages d’un pays lointain avait pensé ou imaginé que j’existais et m’avait envoyé leur tapis volant, ils devaient savoir sans doute que le savoir pourrait me matérialiser.
35 ans après, j’habite sur cette montagne et j’existe enfin.
Je regarde, je comprends, je compte, j’importe, je bâtis, je pense, je dis, je réfléchis,  et je voudrais remercier.
Cette église était mon école bâtie par la Mission laïque française, qui, de si loin, avait pensé à me donner ma chance d’exister.
Les hommes et les femmes qui, un jour du siècle passé, on imaginé parcourir le monde et donner la chance du savoir aux quatre coins de notre univers sont l’image matérielle de la grandeur humaine de la France.
Le général de Gaulle qui avait inauguré ce lycée Razi de Téhéran avait conscience que la grandeur de la France et de son peuple se matérialisait là.
Le lycée Razi de Téhéran m’a permis de passer les plus belles années de ma vie, m’a permis de poursuivre ensuite, en France, de grandes études auxquelles ma naissance ne me permettait même pas de rêver.
La mission de sauvetage de la Mission laïque est une réussite pour moi et mes camarades.
Peut-être beaucoup ont oublié un peu leurs bienfaiteurs, mais je voulais rappeler ici que personne n’oublie et que la dernière des qualités que m’a appris la France, qui a enfanté la MLF, est la gratitude.
Merci à tous ceux qui ont œuvré, et qui œuvrent tous les jours, pour aider des enfants comme moi, nés au milieu du néant et qui nous donnent la chance d’exister et d’apprendre cette culture magnifique et merveilleuse qu’est la France.
Merci.

François Pourbagher

























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